Lili Leignel, enfant juive déportée, est venue témoigner au collège Paul Duez
L'année dernière, je n'avais pas pu écouter le témoignage de Lili Leignel, venue parler de la déportation devant les élèves de troisième. La faute à un stage syndical d'ailleurs très intéressant sur l'histoire du syndicalisme.
Cette année, pas question de rater une intervention dont mes collègues m'avaient vanté la qualité. Une fois mon club-théâtre terminé, j'ai donc rejoint la salle polyvalente pour écouter le témoignage de Lili Leignel. Toutes les classes de troisième étaient rassemblées, avec leurs professeurs. Ne manquaient à l'appel que les élèves partis en voyage en Angleterre.
Pendant près de deux heures, cette petite dame de 79 ans a parlé, sans note, et nous a raconté sa guerre : le port de l'étoile jaune, le curé et sa famille qui les cache un moment et puis, le retour trop rapide à la maison et l'enfer qui va commencer pour elle quand la petite fille juive de Roubaix, âgée de 11 ans est arrêtée, un certain 27 octobre 1943. Réveillée en sursaut à 3 heures du matin, Lili est emmenée avec ses parents et ses jeunes frères Robert, âgé de neuf ans et André, qui n'avait que trois ans et demi par la Feldgendarmerie.
Lili ne saura jamais si leur famille a été dénoncée, mais se souvient encore de ce couple de vieilles personnes du bas de l'immeuble, qui jouaient avec eux, qui étaient si gentils, et qui ont détourné le regard en les voyant pour que les Allemands partent, pour que les cris s'arrêtent.
C'est ensuite le départ vers la prison de Loos-lez-Lille puis celle de Saint-Gilles près de Bruxelles avant d'être acheminés vers Malines qui correspond à notre tristement célèbre camp de Drancy en France où ils font la connaissance de Stella, une petite fille belge de 5 ans.
Les enfants sont séparés de leur père qu'ils ne reverront plus et sont envoyés avec leur mère à Ravensbrück. Entassés par cent dans des wagons à bestiaux « qui peuvent contenir huit chevaux », les déportés restent 3 ou 4 jours sans manger ; « le voyage est hallucinant et l'endroit sinistre. » Arrivée dans le grand camp pour femmes de Ravensbrück, Lili devient le numéro matricule 25 612 qu'il faut apprendre par coeur en allemand. Dans le bloc 31, elle côtoie Martha Desrumaux, grande figure communiste du Nord mais aussi Geneviève De Gaulle-Anthonioz. « Que l'on soit riche ou pauvre, nous sommes tous réduits à la même enseigne ».
Devant les élèves scotchés, Lili Leignel parle de la soupe, si claire, du pain noir, de la sonnerie, à 3h et demi du matin et de leur maman qui les réveillait toujours plus tôt pour qu'ils se lavent, parce que garder sa dignité, c'était déjà résister. Lili parle de l'appel qui pouvait durer des heures, des SS, chez qui elle n'a jamais vu une étincelle d'humanité et qui lui faisaient tellement peur avec leurs chiens qui mordaient celles qui n'arrivaient plus à tenir debout. Elle parle du Revier et de ces femmes qui se tapotaient les joues pour leur redonner un peu de couleur, pour ne pas qu'on les emmène. Celles qui étaient emmenées, on ne les voyait jamais revenir... Pour Lili et ses frères, trop petits pour travailler, les journées se passent au pied du bloc, à tirer les poux.
Elle raconte ensuite son arrivée au terrible camp de Bergen-Belsen, l'odeur pestilentielle qui s'en dégage, les cadavres brûlés et les trois sortes de typhus dont celle qui touche sa maman.
Et un jour, le 15 avril 1945, la porte s'ouvre. « On gisait inconscients et les soldats anglais étaient affolés ». De la nourriture est distribuée mais « cela nous a sauvés de ne pas pouvoir en manger. » Puis, pour les trois enfants c'est le retour vers la France et la gare du Nord à Paris ; ils sont d'abord hébergés par un chirurgien avant que Lili se souvienne de son oncle et de sa tante qui viennent les rechercher. Direction les Deux-Sèvres puis un préventorium à Hendaye où viendra les rejoindre « Maman » « qui ne pesait plus que 27 kg ». C'est là qu'ils apprennent le sort de leur père, emmené à Buchenwald et fusillé dans les bois deux jours avant la libération du camp.
J'ai frissonné en entendant Lili Leignel raconter la mort de son père et je n'ai pas dû être le seul. Les élèves de 3ème, qui étaient extrêmement attentifs, étaient très émus, cela se voyait.
« On a réappris à vivre » ajoute Lili Leignel. André, son plus jeune frère, a rédigé une thèse sur les camps de la mort. Pour Lili, c'est en entendant des thèses négationnistes qu'elle décide de témoigner et ça fait trente ans que ça dure, au rythme d'une quarantaine d'interventions par an dans les établissements scolaires. Lili ne voulait tout simplement pas laisser le racisme et le négationnisme se répandre.
Plusieurs élèves ont posé des questions auxquelles Lili Leignel a répondu avec beaucoup de simplicité avant de nous chanter les comptines qu'elle avait appris dans son bloc, une comptine en russe, une en polonais, une en néerlandais, une en allemand et la dernière en français, "on souffre", sur l'air d'"on chante", de Charles Trénet. Quelle mémoire ! J'étais aussi impressionné que les élèves.
Et Stella ? A la libération du camp, la petite fille a été emmenée en URSS, elle a été adoptée et elle s'est mariée. Elle a oublié le français et ne parle plus que le russe, elle habite toujours à Saint-Petersbourg, mais Lili et Stella se sont retrouvées et Stella devrait venir dans la région dans quelques mois.
Avant de partir, Lili Leignel a remercié les enfants qui lui donnent la force de continuer à témoigner et leur a demandé de lui écrire. A voir P......, en larmes, L....., qui était très émue et tous les autres, je suis quasi sûr que Lili Leignel va recevoir de nombreuses lettres qui lui feront chaud au coeur.
Vous reviendrez l'année prochaine ? "Si Dieu le veut". Alors, à l'année prochaine, Mme Leignel et merci pour votre témoignage formidable et votre leçon d'humanité.
Source photo : Nord Eclair