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Présentation

Professeur d'histoire-géographie depuis la rentrée 2004, j'enseigne depuis 2008 dans un collège du Pas-de-Calais, je suis chargé d'enseignement en histoire contemporaine à l'université de Lille et membre affilié de l'IRHiS.

Docteur en histoire contemporaine de l'Université de Bourgogne, je suis membre du bureau de la régionale Nord-Pas-de-Calais de l'Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie et membre du Conseil d'administration d'Historiennes et historiens du contemporain (H2C). Je suis également membre de la Société française d'histoire politique.

Je suis aussi membre de la Commission exécutive de la CGT Educ'action du Pas-de-Calais, du Secrétariat de rédaction de la revue La Pensée ainsi que du comité de rédaction du Patriote Résistant.

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Mes vidéos de prof

Publié par David NOËL

logo-la-voix-du-nord.jpgÀ quelques jours de la présidentielle, nous vous proposons une série de rencontres. Un lieu, un milieu, pour approcher les préoccupations des habitants de la région. Aujourd’hui, la salle des profs du collège Eugène-Thomas, au Quesnoy.

PAR ÉRIC DUSSART
Endireplus@lavoixdunord.fr
PHOTOS DIDIER CRASNAULT

On lit au mur les soubresauts d’une vie qui s’étire en commun, de septembre à juin. Le prochain voyage des cinquièmes manque d’accompagnants, merci de sensibiliser. Cet après-midi, on enterre une ancienne prof du collège, Mme Untel recueille les dons pour une couronne.
Et là, sur l’autre tableau, quelques mots griffonnés d’une écriture où transpire la colère. On a rivalisé de mots crus ou d’esprit, mais on s’est retrouvé sur l’essentiel : « La note de vie scolaire, c’est ridicule ! » C’est une idée partie du ministère, portée par l’inspection académique via les chefs d’établissement, et qui finit par se cogner au quotidien des enseignants. « C’est un artifice. Un moyen de remonter les moyennes trop basses, de tricher sur les chiffres. » C’est la polémique du moment…
Il est 10 h, c’est la récré du matin. La salle des profs du collège Eugène-Thomas est propre, claire. C’est une pièce sans originalité, où l’on entre par deux côtés, si bien qu’on n’y fait parfois que passer. Pourtant, il y a une âme, ici. Celle des enseignants. Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux… Qu’ils se croisent et s’apostrophent, qu’ils s’assoient et s’enflamment, ils ont toujours quelque chose à se dire.
Christine Tombal corrige ses copies d’espagnol, au bout de la table. Elle écoute trois de ses collègues dans leur implacable constat de la baisse du niveau de l’enseignement.
À eux quatre, ils ont bien un siècle d’expérience, leur discours est clair : « Il y a seulement trois ou cinq ans, on avait encore vingt élèves par classe. Aujourd’hui, on frôle les trente, ce n’est plus du tout la même chose. » Ils ont bien conscience que c’est parfois pire ailleurs, mais… « C’est pas parce qu’on est dans un établissement favorisé qu’on n’a que des élèves qui suivent sans problème. »
Pendant que les cours ont repris, que le silence est revenu, dans la cour, les quatre collègues passent une heure creuse à ce constat sans concession : « On nous oblige à tirer le niveau moyen vers le bas. Au brevet des collèges, on laisse passer des élèves avec neuf, et même huit de moyenne, alors que, normalement, il faut avoir dix. Et au bac, c’est pareil : après les corrections, on reprend les notes, le plus souvent pour les remonter : ils appellent ça “harmoniser” … »
Les quatre profs dénoncent une logique comptable, qui fait passer les chiffres du ministère avant le niveau de connaissances de l’enfant. Plus que des salaires, qu’ils évoqueront à peine, ils parlent d’un manque de professeurs qui pénalise l’enseignement. Des exemples ? « En techno, je ne fais plus que les deux tiers de mon programme. » A côté, le prof de maths est remonté : « Il y a vingt ans, les élèves savaient les opérations avec les fractions à la fin du CM2. Aujourd’hui, c’est en quatrième ! » En français, en maths, en espagnol ou en techno, ils sont unanimes : « On rogne sur les programmes. »

Adieu à son rêve

À la coupure du midi, Sabrina ouvre la porte d’une petite salle où les élèves laissent leurs sacs. Elle est toute jeune, mais son joli sourire ne s’en laisse pas compter. On ne lui marche pas sur les pieds. Sabrina est surveillante d’externat depuis deux ans. Elle a pris ce boulot en attendant d’avoir le concours de professeur des écoles, avec sa licence d’espagnol. « Mais ils n’en prennent qu’un sur dix. Si je ne l’ai pas encore cette fois-ci, je crois que je ne serai jamais prof. Avec mon bébé à la maison, maintenant, il va falloir que je gagne ma vie autrement. »
On sent qu’elle dit adieu à un rêve. « J’aurais adoré faire ce métier. Et mon fils aurait été fier de moi… » Comme les profs, elle dit que l’Éducation nationale n’a plus assez de moyens. « J’espère que ça va changer. Je serai la première au bureau de vote ! » Le problème, c’est qu’ils tournent en rond au moment de trouver la voie qu’il leur faut. « On n’a jamais vraiment été défendu par nos ministres. Et le pire, ça a été Allègre ! »
Corinne Hennotelle est conseillère principale d’éducation. Elle passe en coup de vent, à 14 h, des dossiers plein les bras, juste le temps de dire comme les autres : « On n’a plus beaucoup d’illusions. Quel que soit le gagnant. Un candidat qui aurait l’intention de mettre l’éducation en avant, on l’entendrait parler de culture, c’est le corollaire. Vous avez entendu parler de culture, vous ? »
C’est une douce journée de printemps qui prend les couleurs de la nostalgie. Même Bernard Kowalak, prof d’arts plastiques chevronné, toujours proche de ses élèves – « Ce sont eux qui me donnent la pêche » –, avoue que c’est de plus en plus difficile : « À 55 ans, je me suis aperçu que mes nerfs en ont pris un coup. Tenir un auditoire, ce n’est pas facile. Ce n’est pas pour rien si c’est le métier où il y a le plus de dépressions nerveuses… »
Comme les autres, il souffre d’un manque de considération. Il a pourtant ce beau regard serein de celui qui vit une passion : « C’est merveilleux d’enseigner. C’est un des plus beaux métiers du monde ! » Mais un voile de lassitude gâche son sourire : « Il faut arrêter de taper à boulets rouges sur les gens qui font l’avenir de ce pays. Il faut les aider… »
La journée de cours se termine pour Hervé Gobert et Ghislain Cambier. Ils attendent l’heure des conseils de classe. Ils ont passé la trentaine, ils sont profs d’histoire-géo. Eux aussi font le constat d’un niveau qui baisse : « On nous demande d’abandonner nos exigences. Chaque année, j’envoie des élèves en seconde en sachant pertinemment qu’ils vont se planter. » Mais il y a pire : « Trente élèves par classe, c’est plus pareil. Moi, je sais déjà que je ne finirai pas prof : dans vingt ans, je ne pourrai plus m’imposer comme aujourd’hui. Là, j’arrive à ne jamais m’asseoir, mais quand je ne pourrai plus, je me ferai déborder, comme d’autres… Et je n’ai pas envie d’avoir une fin de carrière horrible … »


Source : La Voix du Nord
Mardi 10 avril 2007

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