Mes élèves et le jugement de Pâris
Je raconte ainsi à mes élèves qu'aux noces de Pélée et Thétis sur l'Olympe, tous les dieux avaient été invités excepté évidemment Éris, déesse de la discorde. Souvent les élèves ne savent pas ce qu'est la discorde. Je leur explique :
- La discorde, c'est la dispute. Eris, c'est la déesse de la discorde, de la dispute. Devinez ce qui se passe lorsqu'on l'invite ? Tout le monde se dispute ! Si je voulais être grossier, je pourrais dire qu'elle fout la merde partout où elle passe ! Alors, on ne l'invite jamais...
Eh oui, pour se venger de ne pas avoir été invitée par les dieux de l'Olympe, Eris leur envoie une pomme d'or sur laquelle est écrit : « A la plus belle » (Ἡ καλὴ λαϐέτω / hê kalê labetô : c'est la fameuse « pomme de discorde »). Trois déesses revendiquent la pomme, il s'agit d'Athéna, Héra et Aphrodite.
Pour que ça soit drôle, il va de soi que j'agrémente l'histoire d'un :
- Vous connaissez les filles... Elles ne pensent qu'à leur apparence, elles veulent toutes être la plus belle !
Les garçons de la classe rigolent, evidemment, tandis que les filles s'indignent...
Afin de mettre un terme à la dispute entre les trois déesses, Hermès choisit Pâris, qui se trouvait au mont Ida à ce moment là, comme juge pour désigner la gagnante. Héra promet au jeune homme un royaume, Athéna la sagesse et la valeur guerrière, et Aphrodite, l'amour de la plus belle femme de Grèce.
- Vous auriez choisi quoi, vous, les garçons ? Entre un royaume et ses richesses, des qualités de guerrier et la plus belle femme du monde ? Moi, je choisis la plus belle femme du monde ! Et toi, R...., tu aurais choisi quoi ?
- Ah, moi aussi, la plus belle femme du monde !
La plupart des garçons opinaient du chef, sauf A........, qui me dit :
- Ah, moi, Monsieur, j'aurais pris le royaume et ses richesses, parce qu'après, quand on est riche, on a toutes les femmes qu'on veut !
Concert de protestations féminines dans la classes, mais l'avis d'A........ était isolé. En fait, comme je l'aurais fait, comme la plupart des élèves de 6A l'auraient fait, Pâris choisit Aphrodite, entraînant ainsi doublement la perte de sa famille et de sa patrie : d'abord, en enlevant Hélène de Sparte, prix promis par la déesse, ensuite, en s'attirant l'inimitié fatale des deux autres déesses, qui se montreront adversaires acharnées des Troyens. Homère fait allusion à l'événement dans quelques vers du chant XXIV de l'Iliade :
« ... Héra et la Vierge aux yeux pers.
Ceux-là gardaient toute leur haine à la sainte Ilion,
À Priam et aux siens, depuis que Pâris aveuglé
Leur avait fait injure, en osant, sans sa bergerie,
Opter pour celle qui lui offrit l'amère luxure. »
Les guerres commencent parfois bêtement, mais il y a des choses qui ne changent pas. Au temps d'Homère comme aujourd'hui, 90 % des garçons donneraient un royaume pour une belle femme ! Quelque part, c'est quand même rassurant...