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Présentation

Professeur d'histoire-géographie depuis la rentrée 2004, j'enseigne depuis 2008 dans un collège du Pas-de-Calais, je suis chargé d'enseignement en histoire contemporaine à l'université de Lille et membre affilié de l'IRHiS.

Docteur en histoire contemporaine de l'Université de Bourgogne, je suis membre du bureau de la régionale Nord-Pas-de-Calais de l'Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie et membre du Conseil d'administration d'Historiennes et historiens du contemporain (H2C). Je suis également membre de la Société française d'histoire politique.

Je suis aussi membre de la Commission exécutive de la CGT Educ'action du Pas-de-Calais, du Secrétariat de rédaction de la revue La Pensée ainsi que du comité de rédaction du Patriote Résistant.

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Publié par David NOËL

Defile-Villeneuve-11-11-43.jpgDécryptage | Un défilé de maquisards en uniformes : c'est à la fois une scène d'“Un village français” et la réalité. Explications de cet épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, avec Jean-Pierre Azéma, conseiller historique de la série.

Propos recueillis par Samuel Douhaire

Jour de fête à Villeneuve. Le 11 novembre 1943, les jeunes maquisards parviennent à défiler dans les rues de la ville pour célébrer les victoires d' « hier » et de « demain » contre l'armée allemande, au nez et à la barbe de l'occupant. Les scénaristes d'Un village français auraient-ils l'imagination trop fertile ? Pas vraiment…

Cette scène marquante du 10e épisode (diffusé mardi 29 octobre sur France 3) est directement inspirée d'un fait authentique : le défilé d'environ 200 maquisards en uniforme à Oyonnax (Ain), le 11 novembre 1943, sous les vivats de la population. Jean-Pierre Azéma, spécialiste de la période et conseiller historique de la série, raconte pour telerama.fr ce « coup médiatique » de la Résistance.

 


Un village francais épisode 10 - extrait par Telerama_BA

 

Les maquis en novembre 1943

« A l'automne 1943, la Résistance a plutôt le vent en poupe. Elle s'est renforcée grâce aux réfractaires au Service du Travail obligatoire (STO) qui, plutôt que de partir en Allemagne, préfèrent entrer dans la clandestinité. Une partie d'entre eux se cache chez des amis ou des parents. D'autres, qui craignent les représailles envers leurs proches, vont se réfugier dans des régions forestières et/ou montagnardes. Certains vont se contenter d'attendre la fin de la guerre et se débrouiller tout seuls, d'autres vont être recrutés par l'Armée secrète pour devenir des résistants à part entière. Ces derniers vont ainsi constituer une petite armée… à ceci près qu'ils n'ont pas d'armes !

Il faut rappeler que les Anglais se méfient des résistants de l'intérieur qu'ils considèrent au mieux comme des éléments incontrôlables, au pire comme des branquignols. Ils refusent donc de leur envoyer des fusils, au profit des pays qui ont organisé la résistance armée : la Yougoslavie recevra ainsi plus de la moitié des armes parachutées par les Anglo-Saxons, devant d'autres pays balkaniques et la Grèce – la France est très loin derrière…

Il y a heureusement eu des exceptions. Dès juin 1940, Churchill avait mis en place la Special Operations Executive (SOE), conçue comme une machine de guerre secrète contre les Allemands. Des officiers anglais prennent ainsi contact avec les premiers résistants pour les aider à s'organiser. Ils se moquent de la couleur politique, seule compte l'efficacité. Deux cadres du SOE, l'Anglais Heslop et le Français Rosenthal, vont ainsi estimer que les maquis de l'Ain sont fiables, biens situés, et qu'ils peuvent gêner les Allemands. Au départ, les résistants de l'Ain n'avaient qu'une seule mitraillette Sten qu'ils se passaient de maquis en maquis pour s'entraîner ! Grâce au SOE, ils recevront d'autres armes, quoiqu'en moindre quantité que les maquisards du Vercors et des Glières. »

L'importance du chef

« La Résistance est tout sauf démocratique : l'organisation des maquis est militaire, et l'autorité du chef, primordiale. Dans l'Ain, Henri Petit, alias Romans, va se distinguer. C'est un ancien saint-cyrien, qui a combattu en 14 dans l'aviation, avant de faire du droit et de fonder une agence de publicité dans les années 1920. Après la défaite de juin 1940, il s'engage dans Espoir, un petit mouvement de résistance à Saint-Etienne.

Il a l'idée de créer des « Ecoles Maquis » pour distinguer et former des chefs, en réaction à l'Ecole des cadres d'Uriage fondée par le gouvernement de Vichy. Il met en place des maquis totalement autonomes de 60 personnes maximum, sous la direction d'un chef tout-puissant (qui est souvent le seul à connaître les chemins de fuite en cas d'attaque ennemie). Il impose une tactique qui va très bien marcher jusqu'au printemps 1944 : la guerilla – des accrochages brefs, des opérations de sabotages, des exécutions de collabos… Les maquisards de Romans-Petit ne cherchent jamais à prolonger l'affrontement : une fois le coup effectué, ils se sauvent vite pour revenir au maquis. Les Allemands rageaient car ils n'arrivaient jamais à les attraper… »

Un coup très bien préparé

« Les Allemands et le gouvernement de Vichy avaient interdit les célébrations du 11 novembre. A l'automne 1943, Romans-Petit décide de passer outre, faisant passer le message que ce sera « le dernier 11 novembre de l'Occupation ». Il fait passer le message que des défilés seront organisés dans les principales villes de l'Ain, notamment à Bellegarde et Ambérieu. Mais c'est un leurre : un seul défilé est prévu, à Oyonnax, une ville de 12 000 habitants où il n'y a pas de soldats allemands et où les maquisards ont des complices hauts placés (le commissaire de police et le capitaine de gendarmerie soutiennent discrètement la Résistance).



Quelques jours avant, Romans-Petit et ses hommes vont braver le couvre-feu pour « répéter » discrètement et calculer, à la minute près, le déroulement du défilé. Le jour même, ils sont 200 hommes, venus de quatre maquis différents, à rejoindre Oyonnax en camions. Ils sont habillés comme des soldats, avec des uniformes volés deux mois plus tôt dans un camp de chantier de la jeunesse. Ils portent les armes que leur ont parachutées les Anglais, plus quelques-unes dérobées aux Allemands.


C'est un vrai défilé militaire : les officiers marchent au pas avec leurs décorations, le porte-drapeau a des gants blancs (prêtés par des mariés !). Devant le monument aux morts, les maquisards déposent une gerbe en forme de croix de Lorraine avec l'inscription « Les vainqueurs de demain à ceux d'hier ». Ils lancent la sonnerie aux morts et chantent La Marseillaise au garde-à-vous. La population applaudit, il y a des scènes d'effusion. Mais au bout de 2 heures, tout le monde repart pour ne pas être intercepté par les Allemands… »

Un retentissement considérable

« Le défilé d'Oyonnax a bénéficié de ce que l'on appellerait aujourd'hui une « couverture médiatique », grâce à la présence sur place d'un photographe, André Jacquelain, qui travaillait pour le petit journal résistant Bir-Hakeim. A partir de décembre, ses photos vont être publiées dans différentes publications de la Résistance, mais aussi en Angleterre et jusqu'aux Etats-Unis. Un habitant d'Oyonnax a même filmé deux ou trois minutes du défilé avec sa caméra, mais ses images ne vont être découvertes que bien après la guerre. »

Les conséquences

« Avec l'organisation de ce défilé, Romans-Petit voulait démontrer que le maquis, ce n'était ni l'anarchie, ni les « bandes » que dénonçait la propagande des Allemands et de Vichy. Mais, au contraire, des soldats bien entraînés, disciplinés et fiables, qui marchent au pas derrière leurs chefs. C'est une nouvelle étape très positive pour la Résistance, après la réunion de l'assemblée consultative à Alger (où De Gaulle devient le vrai patron politique au détriment de Giraud) et la libération de la Corse, en septembre 1943.

Le problème, c'est que les Allemands ont très bien compris la portée symbolique de ce défilé. Tant que les maquisards se limitaient à distribuer des tracts, ils ne bougeaient pas. Là, ils vont réagir, et violemment. Dès décembre, les GMR (groupes mobiles de réserve, des unités paramilitaires créées par Vichy) vont mener une « descente » autour d'Oyonnax. Et en février 1944, le SD (le service de renseignements des SS) et la 157e division d'infanterie allemande vont attaquer à deux reprises les maquis de l'Ain, qui vont connaître de lourdes pertes.

Puis, en mars-avril, ce seront les « Pâques rouges » dans le Haut-Jura et  le Bugey : des représailles terribles contre les populations civiles. De nombreux habitants sont déportés parce qu'ils n'ont pas dénoncé les maquisards. A Oyonnax même, le commissaire de police est exécuté, le capitaine de gendarmerie déporté (il mourra dans les camps). Et le chef de la résistance de l'Ain, le Docteur Mercier, est abattu après avoir été affreusement torturé.

Romans-Petit, lui, en réchappera. Il terminera le conflit avec le rang de colonel, et sera nommé compagnon de la Libération. Il reprendra par la suite son activité de publicitaire et publiera plusieurs livres sur la guerre, dont Les maquis de l'Ain en 1974. »

Légende photo : Scène du défilé du 11 Novembre 1943 dans la série TV Un Village Français (Saison 5, épisode 10), diffusée sur France 3. © Etienne Chognard/CCSP


Source : Télérama.fr
Mardi 29 octobre 2013

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