Jeanne d'Arc, vérités et légendes
Je viens d'achever le Jeanne d'Arc, vérités et légendes, de Colette Beaune, que j'avais acheté il y a quelques jours à Cultura pour lire sur la plage.
Le livre est initialement paru chez Perrin en 2008 et a été réédité en collection de poche chez Tempus en 2012.
Court et agréable à lire, le livre de Colette Beaune, la plus grande spécialiste française de Jeanne d'Arc, se veut une réponse aux "mythographes" qui ont fait de Jeanne d'Arc une bâtarde de sang royal ou qui ont brodé sur sa "résurrection" sous les traits de Claude des Armoises, autant de théories complotistes plus ou moins fumeuses qui ont été mises en avant dans un docu-fiction d'Arte pour lequel Colette Beaune a servi de caution scientifique.
Sur le site de la revue Clio, le compte-rendu de lecture de Christiane Klapisch-Zuber résume fort bien Jeanne d'Arc, vérités et légendes.
La mise au point est salutaire. Elle peut se lire indépendamment ou en complément de la biographie de Jeanne d'Arc, toujours de Colette Beaune, également parue chez Perrin en 2004 et rééditée chez Tempus en 2009.
Une saine colère est d’autant plus convaincante qu’elle s’exprime avec verve et humour. On peut remercier ceux qui l’ont suscitée quand leurs « impostures » nous valent non seulement un essai polémique réjouissant, mais aussi la réédition d’un très beau livre consacré à Jeanne d’Arc et paru il y a cinq ans.
Colette Beaune traçait, en 2004, un magnifique portrait de Jeanne la Pucelle, dont les facettes renvoyaient aux différents modèles auxquels l’héroïne se conforma et aux filtres mentaux par lesquels ses amis et ses ennemis firent passer et construisirent son image. Avec trois autres historiens, elle fut prise au piège des médias dans une émission d’Arte diffusée en mars 2008 sous le titre « Vraie Jeanne, fausse Jeanne ». Raison de leur colère : un montage qui, reflétant la prédilection de ses responsables pour les mystères et les conspirations, trahit les propos des interviewés. Reprenant des hypothèses rebattues, maintes fois écartées par les recherches des historiens mais supposées plaire au « grand public », le soi-disant documentaire était devenu une œuvre de fiction flattant le goût supposé de ce dernier pour le complot, l’énigme irrésolue, le secret d’État. La petite paysanne lorraine des manuels de la IIIe République présentée à des générations d’écoliers comme une humble campagnarde, une bergère (selon un topos théologique, et monarchique ! que C. Beaune a fort bien analysé dans le chapitre « Opération bergère » de son Jeanne d’Arc), fut servie aux auditeurs de la chaîne culturelle comme la fille adultérine d’une reine de France (incestueuse de surcroît) et la demi-sœur du roi Charles VII qu’elle serait fraternellement venue aider à bouter les Anglais hors de France. Apparue à la fin du XIXe siècle, cette thèse d’une naissance bâtarde entraînant une éducation soignée quasi chevaleresque tirait, entre autres, argument des qualités viriles de Jeanne qui étonnèrent ses proches : sa maîtrise des chevaux, son sens de l’organisation des troupes dans la bataille et son ascendant sur les soldats. Mais les recherches des historiens sur le milieu familial de Jeanne, dont l’émission faisait fi, ont réduit à néant ces rêveries (il)légitimistes. Dans sa présentation télévisée, l’émission remit également en selle une aventurière, Claude des Armoises, qui, cinq ans après le supplice de Jeanne se fit passer pour elle, réchappée du bûcher de Rouen par quelque obscure intervention, comme si les documents de l’époque et les recherches complémentaires des historiens n’avaient pas depuis longtemps écarté qu’une supercherie, répondant aux espérances fantastiques du bon peuple de France, ait pu avoir lieu en 1431 ; comme si, en outre, ladite aventurière (dont le destin est de toutes façons fascinant et fait l’objet d’un joli chapitre du livre) n’avait pas elle-même avoué son imposture et n’avait pas été condamnée. Les thèses, apparues au début du XXe siècle, d’une manipulation de la Pucelle par la reine Yolande d’Aragon, belle-mère du Dauphin, ou par une vaste conspiration franciscaine, refirent également surface en 2008 malgré les démentis que des recherches amplement documentées leur ont apportés.
À ces différentes hypothèses, sourdes aux réponses et néanmoins martelées depuis des lustres, Colette Beaune, dans ses Vérités et légendes, répond pied à pied, dans un style incisif, une écriture à la première personne souvent drôle, qui ose laisser tomber le noble drapé de l’historien pour se teinter d’un humour rafraîchissant. Sans doute plus d’un passage reprend-il au livre de 2004 des argumentations qui auraient dû suffire à faire crouler les édifices branlants de ceux qu’elle désigne comme les modernes « mythographes », mais elle leur ajoute de nouveaux développements (ils portent, entre autres, sur la soi-disant internationale franciscaine, sur les aventures et le destin de Claude des Armoises, sur ce que les portraits de Jeanne nous disent de la vision que les gens du XVe siècle ont eue de la Pucelle, sur l’éventuelle trahison d’un capitaine qui, à Compiègne, la fit tomber aux mains de ses ennemis etc.)
« Pour en finir avec ceux qui racontent n’importe quoi », comme le propose la bande-annonce, Colette Beaune ne se contente pas de démonter des élucubrations qui, à l’instar des révisionnistes, se parent des plumes d’un doute inlassable ; elle replace dans une perspective large les débats qui, depuis le xviie et au xixe siècle surtout, ont entouré la personne et l’action de Jeanne et abouti à ces extravagances obstinées. Dans les différents contextes de ces deux ou trois siècles, les propositions des mythographes tirent tout leur sens des oppositions entre catholiques et protestants, laïcs et catholiques, républicains et monarchistes. C. Beaune peut ainsi montrer – et ce n’est pas le moindre intérêt du livre – comment, au-delà de la glorification ou de la dépréciation du rôle de la Pucelle, les courants survivaliste ou bâtardisant s’inscrivent dans des moments politiques et religieux bien datés et trahissent les options contemporaines de leurs porteurs ; jusqu’à nos jours, puisque, après sa récupération par le Front national, « une théorie généralisée du complot proche du Da Vinci Code » sert aujourd’hui le désenchantement politique d’une « société fascinée par les ‘people’ [qui] n’admire plus les héros » (p. 20). Et finalement, c’est à une cinglante défense et illustration du métier d’historien que le lecteur assiste, un peu médusé par tant de fougue alliée à tant d’impeccable érudition. Une défense qui montre qu’on peut écrire savamment sans cuistrerie, éclairer les procédures de l’enquête documentaire la plus minutieuse sans ennuyer, discuter d’interprétations et de méthodes en faisant confiance à l’intelligence du (« grand ») public.
Christiane Klapisch-Zuber
Source : Revue Clio. Femmes, Genre, Histoire
Numéro 30, 2009.