6 juin 44
Ce succès, considérable à sa parution et jamais démenti, tient au regard panoramique adopté par les auteurs. Ils décortiquent les opérations - envisagées de chaque camp -, leur préparation, leur évolution hasardeuse et les conséquences du jour J sur la suite de la guerre, depuis la campagne de Normandie jusqu'à la Libération de Paris et ses lendemains. Enfin, ils décryptent les enjeux de mémoire et la place que tient le 6 juin 44 dans l'histoire du XXe siècle.
Le livre de Jean-Pierre Azéma, Robert O. Paxton et Philippe Burrin est divisé en huit parties : Les précédents, Les enjeux stratégiques du "second front", Les préparatifs, L'attente : le "désert des Tartares", Ils ont débarqué, La campagne de France, Les " France " libérées et Mémoire(s)
A l'intérieur de ces parties, des chapitres brefs de trois ou quatre pages, commencent par présenter un historique des débarquements, depuis celui de Guillaume le Conquérant, en passant par l’Invincible armada de Philippe II, Dieppe où 4 397 soldats anglo-canadiens sont blessés, tués ou faits prisonniers le 19 août 1942, Guadalcanal, l’Afrique du Nord, la Sicile, la Corse, ou l’Italie.
C'est que la réussite du débarquement du 6 juin 44 viendrait presque occulter le fait qu'à quelques exceptions près, les précédents en matière de débarquement avaient montré aux chefs alliés toute la difficulté à débarquer une armée sur des côtes puissamment défendues pour envahir un territoire. Un débarquement suppose la maîtrise du ciel et de la mer et une puissance de feu à même de détruire les fortifications ennemies qui risquent de tailler en pièces l'armée d'invasion.
Dans le livre, une large place est donnée aux opérations d’intoxication des Allemands, menées par les services secrets britanniques, tendant à faire croire à une invasion par les plages du Pas-de-Calais. Le livre note honnêtement que, pour le général Eisenhower, cette opération a eu une valeur égale à une forte division blindée.
Mais on ne saurait omettre tous les facteurs qui ont contribué à la victoire des troupes alliées. Dans le livre 6 juin 44, les auteurs rappellent pourquoi les alliés ont gagné. Ils soulignent le rôle de la Résistance française - alertée par le message "Les sanglots longs des violons de l’automne" au soir du 5 juin - passée immédiatement à l’action avec 486 coupures de voies ferrées occasionnant 180 déraillements, 950 routes coupées et les détachements ennemis pris sous le feu d’armes automatiques. C’est ainsi que la 110e division blindée, ramenée en huit jours de Russie à Strasbourg, mettra vingt-trois jours pour arriver à Caen.
Pour le général De Gaulle et le CFLN d'Alger (Comité Français de la Libération Nationale) - qui devient le GPRF (Gouvernement Provisoire de la République Française) le 3 juin 1944 - le rôle de la résistance française est essentiel. Sans appeler les maquisards à l'insurrection immédiate qui serait rapidement réprimée sans possibilité pour les forces alliées d'aider les maquis, De Gaulle et les chefs de la France Libre savent que de la capacité de la résistance intérieure française à prendre part à la libération du pays dépend la légitimité de la France Libre, contestée par Roosevelt.
De Londres à Paris en passant par Alger et Bayeux, on suit ainsi le combat du général de Gaulle pour faire reconnaître la France libre.
Jean-Pierre Azéma, Robert O. Paxton et Philippe Burrin soulignent également le fait que de nombreuses divisions sont accrochées à l’Est où l’armée rouge se prépare à lancer une offensive le 22 juin. Ajoutons que d’autres divisions sont immobilisées en Italie où Rome vient de tomber. Enfin, les Alliés disposent de la maîtrise du ciel avec cinq mille chasseurs qui protègent l’armada du débarquement et attaquent les chars ennemis.
La réussite du débarquement sur les plages ne signifie pas la fin de la guerre. Il faudra attendre le 12 septembre pour que la Normandie soit libérée, les poches de l’Atlantique se battront jusqu’à la capitulation allemande du 8 mai 1945. Des mois durant lesquels des victimes tomberont sur les différents fronts, des hommes et des femmes périront dans les camps de concentration. Mais il restera ce cri de joie par lequel on s’abordait en France occupée en ce matin du 6 juin : "Ils ont débarqué !"
Soixante ans après le débarquement, ce cri de joie résonne dans les mémoires comme le signal du début de la libération de l'Europe, mais le 6 juin 44 n'a jamais cessé d'être enjeu de mémoire : pour les Normands, victimes des bombardements alliés et pour qui la commémoration du 6 juin rappelle des souvenirs douloureux, pour les Russes qui avaient à affronter l'essentiel des forces allemandes et dont le rôle capital a longtemps été minoré pendant les années de guerre froide, pour les Allemands enfin, qui n'ont jamais commémoré le 6 juin, bien que les familles des victimes aient continué à entretenir la mémoire de leurs morts, qui reposent dans les cimetières militaires de Normandie.
Soixante ans après le débarquement, les cérémonies commémoratives de 2004 auxquelles assistaient Français, Américains, Anglais, Canadiens, Polonais, Russes et Allemands auront marqué une nouvelle étape dans le travail de mémoire. Commémoré et mythifié, le 6 juin 44 est devenu un lieu de mémoire. C'est tout l'intérêt du livre de Jean-Pierre Azéma, Robert O. Paxton et Philippe Burrin que de le replacer dans son contexte et de lui redonner vie.