Moment de grâce
Ce soir, après les cours, en quittant le bahut, S..... attendait bien sagement devant le bureau de la principale. Je me suis avancé vers lui, je lui ai demandé ce qu'il attendait et je l'ai gentiment sermonné.
- Tu vas faire les exercices que j'ai donnés, sur Tres de Mayo ?
- Ah, oui monsieur !
- Tu as ton livre ?
- Oui, monsieur.
- Ouvre-le.
S..... a ouvert son livre et je lui ai expliqué Tres de Mayo. La guerre d'Espagne, les trois groupes de condamnés à mort, les soldats français, sombres et menaçants, l'insurgé au centre du tableau en position christique, lumineux, les stigmates sur les mains...
Au fur et à mesure de mes explications, le visage de S..... s'illuminait. Emu, S..... s'était mis à regarder les deux premières questions de l'étude de doc. et à me les faire à l'oral avec une facilité déconcertante et un intérêt qui tranchait avec son comportement habituel d'amusette. S..... avait compris Tres de Mayo et je savais que mardi, lorsque je le reverrai, il aurait fait l'exercice.
J'ai quitté le boulot d'un coeur léger, ce soir. On peut gueuler, exclure des élèves de cours, intercepter des effaceurs à air comprimé lanceur de boulettes... ça s'efface lorsqu'on vit un de ces moments de grâce. On en vit en cours, on en vit dans les couloirs et ce sont tous ces petits riens qui nous font malgré tout aimer notre boulot.